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Comment gagner de l'argent avec un magazine en ligne ?

En tant qu' enfants gâtés par l'accès gratuit, nous, internautes, sommes aujourd'hui plutôt réticents à payer pour obtenir des informations. Pas impossible, mais pas pour toutes les informations et pas à tout prix.

Pourquoi payer gratuitement les informations qu'une multitude de sites proposent ? La concurrence des blogs et des sites de « curation », parmi lesquels Google News, qui sert plus ou moins légalement le travail des autres, est la démonétisation de l'information. Sans oublier les réseaux sociaux qui deviennent les premiers distributeurs de la presse en ligne, et prennent une part croissante du marché publicitaire, au détriment des producteurs.

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Et pourquoi devrions-nous tout à coup payer pour ce que presque tous les médias proposent depuis de nombreuses années ?

Les médias sont partiellement responsables de ce qui leur arrive

Certains par calcul à court terme : ils ont récolté cette manne de publicité supplémentaire - même une vente - qui a été ajoutée aux revenus de la publicité sur papier. Mais quand cette publicité imprimée s'est effondré, il était impossible d'augmenter les tarifs numériques qui ne compensaient pas du tout la baisse des revenus. (voir le schéma ci-dessous).

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Les médias ont pêché le manque d'anticipation. Ils n'ont pas constaté la baisse rapide du lectorat du papier et ne comprenaient pas que ces faibles tarifs numériques serviraient de référence pour de nombreuses années à venir. Les annonceurs sont comme des lecteurs : il est impossible de revenir en arrière en augmentant drastiquement les tarifs pour un même service.

Il s'agit également d'une autre erreur majeure des médias : ne pas avoir suffisamment innové sur les formats publicitaires. Le seul à l'avoir fait avec de gros moyens est l'un des rares à s'en sortir aujourd'hui : c'est le Canadien « La Presse » qui a réussi à imposer des tarifs publicitaires sur les tablettes au même niveau que ceux de son ancien titre papier. Mais cela, grâce à des outils innovants et à l'intégration d'un support publicitaire créatif et de qualité.

©Business Insider — 2013

Certains éditeurs sont passés d'un extrême à l'autre. Depuis l'inepte payait à l'époque où la concurrence était abondante, au totalement gratuit qui contribue à démonétiser la production de contenu, dans un contexte de baisse des taux publicitaires. Ils ont finalement compris que la solution se situait entre les offres mixtes, ne serait-ce que pour faire connaître les produits.

D'autres étaient simplement naïfs... Ils ont proposé leur contenu en pensant d'abord développer l'utilisation pour mieux monétiser plus tard, selon la technique classique des revendeurs. Ils n'ont pas compris que le revendeur, en revanche, propose un produit rare et nécessaire, en raison de la dépendance physique qu'il crée. Les journaux et les médias en ligne ne proposent que des emballages différents des informations abondantes. D'autre part, ils cherchent à vendre un produit dont nous n'avons pas besoin. Beaucoup de personnes vivent très heureuses, sans être informées. Si, si...

L'information à elle seule n'a jamais motivé l'achat du journal

Les informations n'ont jamais été suffisantes pour motiver achat d'un quotidien. Il est vrai que vous avez acheté avec votre journal des informations de socialisation : les informations qui alimenteraient nos conversations au café et au bureau (et en particulier les célèbres chroniques nécrologiques qui continuent de soutenir la presse locale). Mais nous avons également acheté des informations pratiques : les travaux sur le département 117, les heures d'ouverture de la piscine, la météo, le programme TV...

Nous avons bénéficié de petites annonces pour des emplois et des logements ou des ventes entre particuliers. Nous avons été divertis par l'actualité (dans le sens où ce genre d'information est une diversion de nos soucis quotidiens), les mots croisés, les comics de fin ou le dessin d'A...

Cependant, tous ces services ont été mieux proposés sur le web, et souvent gratuitement : services publics en ligne, programmes télévisés, sites de petites annonces gratuites comme Leboncoin.fr, etc. Les groupes qui font le mieux sont ceux qui ont pu racheter (souvent coûteux), les services qui leur ont été retirés ( cf. le Figaro qui s'est offert Adven ou Schibsted (qui a acheté Leboncoin.fr)

Alors, le paiement à l'utilisation sur le Web est-il mort ?

Non, pas nécessairement, mais cela exigera des efforts particuliers de la part des éditeurs. Voici les conditions préalables à la réussite de leur contenu payant sur Internet :

1- Offrez un véritable service

Le contenu pratique qui m'aide dans ma vie concrète et immédiate, et qui répond aux besoins de base sera le plus facile à vendre : trouver un logement (ou surtout vendre un logement), trouver un emploi, trouver l'amour (ou combler un besoin sexuel), trouver des informations qui me permettent de gagner ou d'économiser de l'argent (conseils financiers précis, conseils fiscaux...)

Du contenu qui me fait plaisir : divertissement, films, loisirs, jeux. Ceci, à condition que le niveau de service rendu soit suffisant. Dans le domaine médical, on parle de SMR (service médical rendu, qui détermine le taux de remboursement d'un médicament), je fais référence au SIR (service d'information rendu). Et le niveau requis est à mesure que la concurrence devient de plus en plus féroce.

Il existe également des informations provenant de « passionnés », à condition que le niveau éditorial soit suffisant. L'équipe Explore est sans aucun doute du contenu qui pourrait se vendre aux amateurs de sport, mais tout dépend du prix (voir ci-dessous).

Un contenu qui me fait réfléchir : qui m'aide à mieux comprendre le monde et moi-même. Ceci, à condition que je les ai compris et digérés, ce qui nécessite un effort de vulgarisation et un emballage agréable. C'est là que le plaisir, non seulement n'est pas incompatible avec la pensée, mais est totalement requis ! Plus vous avez envie de parler de choses ennuyeuses, ou de dire difficiles d'accès, plus vous devez prendre soin de la forme et apporter du plaisir à travers le format.

Cliquez sur l'image ci-dessous pour voir la présentation de Slideshare « Redonner de la valeur aux produits éditoriaux »

Les 4P du « motivation-mix » /©mediaculture.fr

2- Offre rare

contenu Le second critère, cumulatif du premier, est que les informations doivent être exclusives. Bien sûr, pourquoi payer pour quelque chose que vous pouvez obtenir gratuitement ? C'est là que cela se complique, car les concurrents libres viennent casser le marché. C'est la fameuse « uberisation » dont les oreilles nous sont renvoyées.

Quand Leboncoin.fr/ » target= » _blank » > LeBoncoin.fr se lance gratuitement, vous ne donnez pas de skin cher. Aujourd'hui, il a failli tuer Ebay en France.

3- Offrez un prix décent

Il s'agit de vendre le produit à un taux acceptable pour le public, ce qui, malheureusement, ne correspond pas toujours au coût de production. Tout d'abord, parce que la structure des coûts des médias (et en particulier de la presse écrite) est trop lourde. Deuxièmement, parce que nous voulons vendre ce qui nous coûte le plus cher à produire, sans nous soucier de l'appétit réel du public pour ce produit. « Attendez, ce sujet sur la Syrie nous a coûté un aveugle, nous allons le proposer en payant ».

Si 5 000 personnes l'achètent pour 3 euros, nous entrons dans nos coûts (environ). 3 euros ? Sans rire ? Qui peut accepter ce tarif lorsque vous pouvez acheter une application mobile complexe ou un jeu à ce prix ?

4- Avoir une politique commerciale intelligente

Nous devons repenser la granularité des offres. De l'abonnement mondial onéreux pour les fans à l'achat d'unités en micropaiement pour les visiteurs occasionnels ou aléatoires.

La solution Qiota devrait plaire aux éditeurs, de ce point de vue. Cette start-up propose un système unique de micropaiement de contenu pour la presse et les magazines en ligne. Concrètement, Qiota propose une plateforme « clé en main » hébergée par les médias eux-mêmes. Aucune plateforme externe à laquelle s'abonner, comme Blendle ou Netflix. Et tous les risques sont pris par Qiota.com qui préachète des abonnements auprès des médias. Ensuite, facturez-lui de les vendre grâce à l'efficacité de son algorithme de recommandation.

Une autre solution, « Moments », externe cette fois-ci, propose également un kit de micropaiement qui semble avoir déjà séduit pas mal de titres de presse en ligne : Courier International, L'Equipe, Le Parisien, Ouest-France, Le Telegram, le groupe Marie-Claire etc.

Au-delà des aspects du partage des revenus ou de l'accès aux données des utilisateurs, c'est la qualité de l'algorithme de recommandation qui distinguera les différentes solutions qui se développent sur le marché aujourd'hui.

Attention cependant : il y a une erreur à ne pas commettre : partir de trop bas, car il est presque impossible d'augmenter les prix par la suite. Découvrez ci-dessous les 20 erreurs à ne pas commettre si vous souhaitez vendre votre contenu en ligne (résumé d'une table ronde lors de la 6e journée de la presse en ligne) :

C'est un véritable travail de déterminer les offres commerciales. Le New York Times a commis une erreur en lançant son offre NYT Now à une nouvelle cible : les jeunes. Son offre beaucoup trop attrayante a également convaincu les abonnés traditionnels qui payaient beaucoup plus avant ! Cette conquête de nouveaux abonnés a donc cannibalisé l'offre de base et provoqué une baisse du chiffre d'affaires et de la rentabilité du titre.

5- Promouvoir intelligemment votre contenu

Revoyons la politique commerciale des journaux et renversons le paradigme ! Actuellement, ce qui a le plus de valeur est verrouillé et est invisible au public. Normalement, nous n'allons pas donner « gratuitement » ce qui peut être perdu qui peut être vendu ! Mais tu dois tout de même le savoir ! La première chose qu'un bon vendeur fait est de mettre le produit entre vos mains. Vous pouvez le regarder de près, le toucher, le tester... Et cela augmente les chances de déclencher l'achat.

Médiapart a eu l'intelligence de le comprendre : à une époque de profusion de contenus, il est nécessaire de montrer le produit le plus possible. Et en particulier, ce qui a le plus de valeur : la révélation des scandales est généralement accessible gratuitement, à diffuser au maximum. L'affaire Cahuzac, Sarkozy et Kadhafi scandale...

Mais ce qu'Edwy Plenel a bien compris, c'est aussi la nécessité de séquencer le travail afin de mieux le vendre. Donnez suffisamment d'informations pour hameçonner, mais pas toutes ! C'est la même recommandation que j'adresse aux médias dans le choix de leur titre. Les journaux essaient de pratiquer cela, mais ils se trompent le plus souvent s'ils pensent pouvoir hameçonner leurs lecteurs en leur offrant un crochet et en l'attaquant.

Il est impératif que le lecteur ait déjà eu un premier avantage, qu'il ait appris quelque chose de fort, qu'il soit satisfait de ce premier niveau d'information. Ensuite, il faut lui faire voir ce qui lui manque : le résumé, le nombre de mots, des extraits de vidéos ou des animations qui suivent... Inspirez-vous des bandes-annonces de films en VOD ! Il faut passer du temps à trouver des distributeurs, à accepter de partager les revenus avec un effort sur marge, au profit des plateformes fréquentées dans un premier temps, même si cela signifie revoir le contrat par la suite.

6- Exploitez le données de ses utilisateurs

Des algorithmes tels que Outbrain et Taboola savent comment analyser avec précision la consommation des lecteurs pour diffuser du contenu et de la publicité d'affinité. Il en va de même pour le contenu payant, tel qu'Amazon, ou dans le domaine de la presse, ce que Quiota propose de faire.

Maîtrisez les outils CRM pour faire des rappels intelligents, utilisez des newsletters mixtes qui offrent une partie gratuite, une partie payante, sur les sujets les plus vendus. Les données des utilisateurs sont également largement sous-exploitées : l'analyse automatisée des sujets consultés et le temps de lecture réel permettraient d'affiner le produit pour chaque public.

Et la géolocalisation intelligente peut aider à diffuser le bon contenu au bon moment. Promouvoir une question longue et complexe sur la géopolitique au Moyen-Orient le matin avant d'aller travailler n'est pas un bon moment. Qui est disponible physiquement et mentalement en ce moment ? Dimanche matin vers 11h, en même temps que le café du matin gras sera probablement plus approprié.

Mieux encore, le algorithme sera capable de réaliser un push différé sur mesure, selon l'analyse récurrente des périodes de consultation de ce type de contenu par telle ou telle personne.

7- Repenser les produits éditoriaux autour du service

Nous ne vendrons pas d'informations générales au format texte, sauf à un petit créneau déjà largement occupé par Mediapart et Le Monde. Les formats doivent être repensés, en tenant compte de la dimension plus visuelle et du besoin de plaisir des lecteurs. Les animations interactives du Monde vont dans ce sens, des quiz originaux, des infographies magnifiques et astucieuses, des vidéos bien tournées, le mélange émotion-raison...

Il faut produire moins, mais mieux. La plupart de ce que produisent les journaux ne sont pas visibles. Changons notre façon de travailler, ce qui implique également... soyons honnêtes, un coût social et un besoin très élevé de formation. Les médias et les journaux doivent également revenir à ce qu'ils étaient autrefois : un service mondial. Un carburant social, une source de plaisir (dessins animés mots croisés), une aide au quotidien (informations pratiques), une ouverture sur le monde et sur soi-même, un peu.

Ils doivent repenser leur offre éditoriale en comprenant que l'information n'est qu'une brique de ce que les gens attendent aujourd'hui. Ils veulent aussi un espace communautaire où ils peuvent socialiser, comprendre les choses, mais sans souffrir, ils veulent que nous les aidions concrètement dans leur vie quotidienne, ils veulent s'amuser et les amuser. Un média qui m'offre tout cela de manière exclusive, oui, je m'abonne ! Mais pas à n'importe quel prix...

Est-il encore temps, lorsque Facebook a pris la place de la communauté, Netflix ou King celui des loisirs ? Peut-être, si nous utilisons l'information et la ligne éditoriale comme ciment. Ce que « My Little Paris » ou « Cuisine AZ » parvient à faire, par exemple, avec un ton et un esprit très particuliers et décalés. Cela cimente également le succès de Mediapart, qui vend plus que de l'information : appartenir à un club de « résistants » anti-sarkozystes, un club de des personnes privilégiées qui se sentent mieux informées que les autres.

Les médias peuvent toujours jouer la carte du « Coach d'information » , le conseiller en informations personnelles — Siri, me donner un guide rapide sur telle ou telle question. (comme dans Star Trek) avec des visuels, des diagrammes animés, etc. Combinaison de produits créés et de curation. Il ne sert à rien de refaire ce qui a déjà été bien dit par d'autres. Traduisez, localisez oui... C'est la base du succès d'Upworthy.com ou, à plus petite échelle, du Big Browser du Monde.fr.

8- Tester, planter, réessayer

Celui qui vient te voir en faisant semblant de connaître la recette est un escroc. Quiconque veut reproduire à tout prix la « success story » de Mediapart est un idiot : le créneau des enquêtes militantes est déjà occupé. Seules les hypothèses peuvent être validées ou invalidées par des chiffres et des tests.

Quelles sont les informations que les gens sont prêts à payer et à quel taux ? C'est difficile à dire parce que les « gens » sont pas un tout homogène. Vous allez devoir tester, planter et réessayer. Comme tout secteur d'activité, la presse en ligne doit adapter ses produits à sa cible. Mon intuition est qu'il a besoin de fournir plus d'ingrédients de « plaisir » et un service de socialisation supérieur à ce qu'il est maintenant. Mais cela dépend évidemment de la ligne éditoriale du titre et des cibles cibles.

P.S. : Isabelle Szczepanski, journaliste à Electron Libre (qui fonctionne sur abonnement) ajoute un point clé : le manque d'aide des pouvoirs publics, plus soucieux de préserver l'emploi dans la presse traditionnelle (pas pour des raisons électorales bien entendu), que préoccupés par le pluralisme de l'information . Il dénonce en particulier les quelques ressources allouées par le BPI à des informations innovantes purement acteurs :

9- Arrêtez de produire ce qui n'a que peu de valeur pour le lecteur

Évitez de reproduire ou de coller les informations factuelles dont tout le monde dispose via AFP, pour créer des informations plus rares et plus avancées.

© mediaculture.fr

Vous devez libérer du temps, des moyens et de l'énergie sur ce qui est le plus précieux pour l'utilisateur.

10- UNIR NOS FORCES ENTRE LES MARQUES DE MÉDIAS

Il est crucial que les médias fassent cause commune pour offrir un meilleur service aux lecteurs et se vendre en groupe, à la carte. C'est précisément ce que propose Qiota ou Blendle. Il est difficile aujourd'hui de choisir un abonnement, une marque, alors qu'il existe autant de titres complémentaires. Il est nécessaire de réitérer la logique iTunes dans le domaine de l'actualité. Pourquoi choisir un catalogue musical incomplet, alors que vous pouvez tout avoir au menu ?

Encore une fois, l'obstacle au développement de la demande est le problème de l'interopérabilité ou de la norme technologique, pourrait-on dire. Le marché des sites d'actualités n'est pas suffisamment intégré pour l'utilisateur.

Assurer la rentabilité économique des médias est crucial, pas tant pour permettre aux journaux de survivre ou de maintenir les emplois de journalistes. Après tout, qui a pleuré la perte du cocher au 19e siècle ? Non, ce qui est en jeu ici, c'est le pluralisme des points de vue et l'accès du plus grand nombre possible à des informations de qualité : vérifiées, hiérarchisées, accessibles. Placer les bonnes informations derrière des murs payants réservés à quelques-uns, les plus riches et surtout les plus instruits, accentue les inégalités socioculturelles déjà flagrantes. Et détruit encore plus notre fragile cohésion sociale.

Cyrille Frank est journaliste. Cofondateur d'Askmedia (quoi.info, Le Parisien Magazine, Pôle dataviz), il est également formateur en techniques éditoriales multimédias, marketing éditorial et journalisme de données ainsi que consultant en stratégie éditoriale (augmentation du trafic, fidélité, monétisation de l'audience) et aux utilisations des médias sociaux (acquisition de trafic, fiançailles...).

Retrouvez Cyrille Frank sur Twitter, @cyceron, sur son site Internet : MediaCulture.fr, sur Facebook « > Facebook et surLinkedIn